Camp des guérisseurs, quelques lieues à peine après la sortie d'Edälis.

Comme partout sur Rëvalïa depuis quelques jours à peine, l'Ordre des Guérisseurs avaient été forcés de créer des camps entiers de malades. La vitesse à laquelle se propageait l'épidémie était effrayante et pour l'instant, aucun membre de l'Ordre n'avait réussi à comprendre ce poison. Cela dépassait les compétences des mages d'esprit, même Ysun, la sage dudit élément ne comprenait pas ce qu'il se passait. Tiphereth avait convoqué un sommet, avec différents dirigeants, leur demandant de déclarer leurs états en situation de crise et de laisser l'Ordre agir. Elle craignait pour des endroits comme Karnevriath ou Edälia, entre un état radical lors de problèmes de ce genre et un peuple qui traquait des mages au moindre problème, la situation était catastrophique. Certes, elle aurait pu aider les gardiens à calmer les habitants, ayant une facilité à neutraliser toute violence rien qu'avec le son de sa voix, mais si elle n'agissait pas au niveau mondial, des milliers, voir des millions de personnes mouraient à cause de la peur.

Le second de l'Ordre, Ra's, un vieil elfe à la chevelure blanche, avait utilisé sa puissante magie d'esprit pour créer des doubles de lui même, leur offrant une dose parfaitement équilibrée de magie, contrôlant le tout depuis le quartier général des guérisseurs. La situation semblait être stable, il n'avait juste besoin que de temps, tenir jusqu'à ce que Tiphereth revienne. Le problème, c'était que le camp d'Edälia se trouvait justement à Edälia et ce royaume possédait la plus grande foule d'humains craignant la magie. Les Gardiens, les Guérisseurs qu’avait formée Tiphereth pour défendre les habitants de Rëvalïa étaient des mages de combat de l’esprit oeuvrant pour la paix. Malheureusement, bien que doués, leur entraînement difficile et le nombre de mages rejoignant l’Ordre, réduisait le nombre de ces gardiens. Il n’y avait en vérité qu’une cinquantaine de Gardiens dans tout Rëvalïa et ils devaient tous combattre l’épidémie, beaucoup utilisant également leurs capacités de soin et ne pouvaient donc se battre. Dans le camp Edälien, il n’y avait que cinq gardiens, dont deux pouvant s’occuper de défendre les malades. Le problème de tout ceci, était tout bonnement le virus. Personne ne savait ce que c’était, comment cela marchait, tout ce que l’on savait, c’était que sans infuser de la magie de l’esprit dans le corps d’un malade, celui ci mourait rapidement. Les mages tenaient plus longtemps, mais il y avait des milliers d’individus affectés, contre des centaines de mages capable de les maintenir en vie. Les guérisseurs étaient au bord de l’épuisement, tout ce que pouvait faire l’Ordre, c’était gagner du temps. Sans les facultés de Ra’s, de nombreuses victimes seraient mortes, mais pourtant, cela n’était guère suffisant. Le taux de mortalité était de 60%, pourtant cela faisait à peine une semaine que l’épidémie avait été déclarée.

Naturellement, Edälia commençait à s’agiter, comme d’habitude, c’était la faute des mages. Craignant que la situation ne dégénère, le second de l’ordre avait envoyé un rapport d’urgence à Tiphereth, qui avait demandé de l’aide aux âmes bienveillantes, espérant qu’elles arrivent à temps. Malheureusement, elle devait penser à la survie du plus grand nombre et elle devait pour cela convaincre ces fichus politiciens. Habituellement, le Conseil Rëvalïen accélérait les choses, mais la reine Thanil avait trop à faire avec ses propres malades. Nandoriath ne semblait pas touché et n’avait de toute manière que trop peu de mages de l’esprit pour aider qui que ce soit. L’ange espérait au moins avoir le soutien d’Ayla Morg, mais cette dernière semblait avoir totalement disparu. Son représentant au conseil, expliquait simplement qu’elle n’était pas en “état” de faire quoi que ce soit.

Fort heureusement, elle avait rapidement eu des réponses et pas forcément de personnes moins importantes que celle qu’elle espérait convaincre. Christyän Maät, connu pour ses liens avec le conseil, la reine vampire, Sleeping Wild, le développement de Rava et les sages des éléments, avait proposé son aide. Le disciple du sage de la terre en personne, venait aider les gardiens, voilà une bonne nouvelle. La mauvaise étant que lui non plus ne semblait pas être au courant de l’état de la reine vampire, alors qu’il était son confident, enfin, une catastrophe après l’autre.

Léandra de Karélîs et Saien Menboku étaient également de la partie, les Nouveaux Veilleurs et la Meute apporteraient donc des hommes. Saien ne pouvait faire venir que très peu de mercenaires, à peine une dizaine d’hommes, mais ils étaient tous professionnels et on ne peut plus motivé, peut être aussi car Tiphereth les payaient en tournée de bar. Elle espérait néanmoins que les Nouveaux Veilleurs feraient la différence, cela permettrait en plus de soigner leur image auprès des mages. Dans tous les cas, les deux dirigeantes seraient de la partie, apportant un soutien plus que conséquent. Après tout, ses alliés avaient l’habitude de combattre des dragons, des vampires, voir des dragons vampires ! Qu’est ce qu’une foule comparé à cela ?

L’académie avait pour habitude d’aider les habitants de Rëvalïa et n’échappa pas à la règle, envoyant un élève et un surveillant. Bien que discrets, ces deux êtres avaient visiblement de la ressource, vu que le directeur adjoint avaient autorisé ces derniers à se joindre à l’aventure. Akira Takahashi et Shisui Ryuuga, bien que le deuxième soit un peu plus connu, ayant participé au festival de la réconciliation et ayant lui aussi combattu à Nandoriath, le jeune Akira aurait toutes les occasions pour prouver sa valeur.

Et pour finir, Edwen d’Ombrefroide, en personne, s’était jointe au groupe, bien qu’étant arrivée bien plus tôt que les autres. Elle avait expliqué ses raisons et ne voulait pas qu’on la découvre, son habillement même étant plus “discret” que d’habitude. Elle ne combattrait pas, ne parlerait pas aux autres, n’étant là que pour comprendre le virus, connaissant particulièrement bien celui qui avait ordonné sa création. Ni Ra’s, ni Tiphereth n’appréciaient cette femme, mais devaient reconnaître son pouvoir et ses facultés mentales. Les wendigos traitaient des informations plus vite que n’importe quel être, sans parler de leur faculté à voir la magie. Si quelqu’un pouvait comprendre ce virus, c’était elle, bien que cela demanderait sans doute un minimum de temps. Choses qu’ils n’avaient bien entendu pas à l’heure actuelle.

Jamais Ra’s n’avait autant espéré revoir Tiphereth à temps...Il alla néanmoins accueillir ses nouveaux alliés, qui avaient réussi à passer cette foule qui hurlait auprès des mages de l’Ordre...

Le groupe parvint à se frayer un chemin au travers des petites ruelles la capitale edälienne, jusqu’à arriver à sa sortie sud.
Christyän s’était habitué à la téléportation par la Salle de la Sphère, mise en place à travers tous les royaumes depuis environ quatre ans, et il était difficile de recommencer à parcourir de longues distances sans l’utiliser ! Il espérait que quelqu’un puisse le réparer rapidement, car s’ils devaient parcourir tout Rëvalïa à pied, l’épidémie allait largement avoir le temps de décimer tout être vivant …

Plus loin devant eux, l‘ampleur de leur tâche se révéla enfin.

Plusieurs dizaines de tentes blanches étaient montées en cercle, et l’on pouvait percevoir des guérisseurs et des volontaires transporter des malades sur des civières, d’une tente à l’autre.
Le camps, vétuste et définitivement peu protégé, était entouré d’une foule d’individus agités.

Des gens criaient, le poing levé vers le ciel, semblant partagés entre la peur et la colère.

// Que crient-ils ? Je n’arrive pas à les entendre … » //

Le loup-garou appela à lui ses sens animaux, et l’instant d’après, son ouïe sembla décuplée. Ses yeux brillèrent d’une lueur dorée, un changement inévitable qu’il n’était pas encore parvenu à éviter. Faire appel à un sens en particulier, sans déclencher la transformation totale ou même l’hybridation, était un exercice délicat …

Les exclamations devinrent plus claires. Les supplications d’aide se mêlaient aux accusations.

« Ma fille ! Ma fille est malade ! Prenez ma fille, je vous en prie ! » - « Pourquoi les mages résistent mieux, hein ?! C’est vous qui avez lancé l’épidémie, pas vrai ! » - « Vous disiez que vous le sauveriez !! Vous l’avez emmené, et il est mort maintenant ! Rendez-moi mon frère ! » - « S’il vous plait, elle est faible, elle a de la fièvre depuis hier soir, elle ne répond presque plus … Aidez-la ! »

Entre les suppliques de la foule, les exclamations des quelques gardiens et guérisseurs qui tentaient de ramener le calme s’élevaient également. « Calmez-vous, » disaient-ils. « Je suis navré, nous avons fait que ce nous pouvions. » - « Un peu de silence ! Nous faisons tout notre possible ! » - « Venez, monsieur, nous allons nous occuper de vous. » - « Gardez votre calme, je vous en prie ! Vous ne faites que compliquer les choses ! »

Certains tentaient de calmer la foule par magie de l’Esprit, et Chris supposa que c’était là la raison pour laquelle le camps n’avait pas encore été submergé par la population. La peur et la colère deviendraient rapidement être trop fortes pour ces mages déjà épuisés.

Un nouveau pas en avant. Lorsque son pied se posa sur le sol, Christyän envoya un brin de magie à travers toute la zone du camps, sondant les menaces et les installations par sa magie plutôt que par sa vue.
Il sentit les poteaux de bois d’une vingtaine de tentes plantés dans le sol. Il sentit le poids des lits et des civières posées sur la terre nue, et celui des malades allongés dessus. Il sentit les pas frénétiques des guérisseurs qui envoyaient systématiquement une onde de choc dans la terre, et celui, plus mesuré, des gardiens qui tentaient de calmer la foule …

La magie ici était définitivement dérangée.
Arda ne lui avait pas encore appris à sonder la magie des races humanoïdes, mais son odorat seul lui hurlait que la mort rôdait en ces lieux.

Avant de partir, il avait à peine eu le temps de prévenir Kagura et Hillulica du danger, grâce à un des nombreux artefacts magiques qui trainaient dans l’Académie - comment personne n’avait encore tenté de les voler, cela dépassait Chris. S’il avait contacté la seconde pour lui dire d’être prudente, la première avait été particulièrement difficile à convaincre.
Kagura n’avait que faire des pauvres humains mourant par dizaines, touchés par ce poison étrange. Surtout pas les humains d’Edälia, qui l’avaient chassée et maltraitée pendant des années. Mais il n’y avait pas que des humains touchés par la maladie, à Edälia. Les garous aussi étaient affectés … Il avait fallu plusieurs dizaines de minutes, et plusieurs promesses de rendre service à Sleeping Wild en échange de ce service, pour que Kagura finisse par accepter d’envoyer du renfort.
Il n’avait même pas osé contacter Athon, sachant que les elfes d’Astraël étaient tout aussi débordés qu’eux.

En suivant la foule du regard, Chris pria silencieusement pour que les renforts arrivent au plus vite. Avec la Salle de la Sphère hors d’état de fonctionner, le voyage depuis Ràva pouvait prendre une bonne semaine. Si quelque chose les retenait, ils risquaient d’être d’autant plus ralentis …

Le loup-garou prévoyait déjà l’amélioration des défenses du camp. Si la foule se déchaînait et que le groupe ne parvenait pas à les contenir, la première chose à faire serait de créer une barrière autour du camp.
Chris pourrait en construire une en bois en quelques dizaines de minutes, mais cela risquerait de lui demander beaucoup d’énergie, la plaine devant eux comportant assez peu d’arbres. Une autre solution serait de créer une palissade en roche, en élevant le sol tout autour du camps et en ne laissant que deux entrées à l’avant et à l’arrière. Le sort serait plus simple, beaucoup plus rapide (quasiment instantanée, en réalité), moins coûteux en énergie, et donnerait un résultat probablement plus solide.
Si la situation l’exigeait, Chris pourrait agir en quelques secondes pour protéger du mieux que possible les malades à l’intérieur du camp. Mais pour ceux encore à l’extérieur, cela risquait d’être plus délicat …

À l’approche du camp, le petit groupe tenta de se frayer un chemin à travers la population. S’ils poussaient tout le monde de force, cela ne suffirait qu’à leur attirer la colère de la foule. Le plus calmement possible, Chris s’inséra entre les manifestants, suivi par les membres du groupe.

En les voyant arriver, un des gardiens demanda à la foule de s’écarter, mais seules quelques personnes entendirent sa voix et obtempérèrent.
À côté du gardien qui tentait toujours de faire évacuer la foule, un vieil elfe aux cheveux blancs apparu, les observant se faufiler jusqu’au camp comme ils le pouvaient.

Un coude se planta dans ses côtes, lui coupant le souffle l’espace d’une seconde, et il du se retenir de ne pas écarter la foule en faisant glisser le sol sous leurs pieds, par agacement.

// Du calme, du calme … Une manifestation de magie élémentaire risquerait d’aggraver les choses. On respire, on se détend … Ce sont des idiots terrifiés, ne l’oublions pas … » //

Il s’immobilisa en ayant une nouvelle idée.

// Si je créais simplement un tunnel jusqu’à l’intérieur du camp ? Ça nous faciliterait le travail à tous. //

Et ça épuiserait ton énergie, petit génie.

// Oh, Sirhc, t’es réveillé. //

Tu ne sais pas ce qui va arriver. Économise tes forces, champion, avant de finir vidé comme un client dans une maison de passe !

// Tu as de ces expressions vulgaires, parfois … //

Ça vient de to-

Chris mit immédiatement Sirhc en sourdine. Ce n’était pas le moment d’être distrait par un alter-ego grossier.

« Tout va bien, nous sommes venus aider, » dit calmement Chris à un homme qui venait de se retourner brusquement vers lui en sentant sa main sur son épaule. « Nous devons simplement accéder au camp. » Visiblement confus face au ton posé du loup-garou au milieu de l’agitation ambiante, l’homme s’écarta et laissa passer Chris.

// Ça pourrait bien marcher, en fait. La diplomatie et la politesse triomphent parfois là où la force aurait tout gâché. //

Heh, qui l’eut cru ? La vampirette serait fière de toi, si elle savait ! Christyän, le charmeur de foule !

// Oh, ferme-la. //

Le reste de la foule ne fut cependant pas aussi coopérative …

Très rapidement, la foule commença à s’agiter, avant qu’un coup de feu ne se fasse entendre, faisant sursauter la foule et se retourner vers l’origine de ce bruit encore si peu connu. Certes les armes à feu commençaient à faire leur apparition, mais la détonation était beaucoup moins contrôlée, comme une légère explosion. Là, le bruit était plus sourd, mais avec une preuve notable de contrôle, une technologie que même les alteros ne maîtrisaient pas encore, enfin, pas tous les alteros. Derrière toute la foule, se trouvait une jeune femme habillée en blanc, aux cheveux blonds et aux yeux bleus cyan lumineux. Au début de chaque membre, bras, comme jambes, des composants mécaniques étaient visibles, bien que différentes pièces étaient présentes sur le reste du corps. Les doigts de la jeune femme semblaient être des petits canons, par lesquels le projectile semblait avoir été tiré, dans son cas, son index fumait encore.

- Merci chérie.

Posant sa main sur son épaule, puis collant ses lèvres sur sa joue, Saien Menboku, embrassa son amante et seconde, Mëlinoë, la seule altero ayant fait une fusion parfaite entre machine et chair et sans doute le plus grand génie de Célène, ancienne rivale d’Elebrias en personne. L’altero regardant la chef de meute avec un air particulièrement amoureux, elle frotta sa tête contre la sienne, avant de se reconcentrer sur la foule, qui ne tarda pas à se faire appeler par la dirigeante de la Meute.

- Mesdames et messieurs, laissez moi me présenter, Saien Menboku, dirigeante de la Meute. Certains ont déjà eu recours à nos services, d’autres m’ont connu lors de l’attaque de l’Ankou. Cela a été un plaisir de vous défendre, mais cette fois, c’est vous qui êtes la menace. Derrière ces tentes, se trouvent des malades, des personnes comme vous et moi. Ils sont mourants, alors je vous prie de ne pas croire les conneries sur une possible contagion ! En agissant ainsi, vous perturbez votre seul espoir d’obtenir un remède ! L’Ordre des Guérisseurs cherche à comprendre comment le virus se transmet, ne le perturbez pas. Et si cela devait arriver…

La jeune femme posa sa main sur le manche de son arme, certaines personnes reculant immédiatement, les regardant avec sévérité.

- Je ferais mon devoir, je ne veux pas vous blesser, mais je protégerais les victimes de cette épidémie jusqu’à mon dernier souffle. Suis je bien clair ?

La foule semblait hésitante, l’autorité de la jeune femme était incontestable, sans parler du fait qu’elle avait emmenée une dizaine d’hommes, en plus de sa seconde, tous équipés d’armes en bois et de bâtons, bien décidés à calmer les autres sans les tuer.

- Chérie, rejoins les autres à l’intérieur, je vais m’assurer que notre défense se passe bien...on fait les fiers, mais je ne sais pas comment on va tenir face à une telle foule. Hey, mais regardez qui est là ! J’ai comme une impression de déjà vu, il y a moins de vampires cependant.

Mëlinoë rejoignit Ra’s, ainsi que les autres à l’intérieur, bien que les Nouveaux Veilleurs devaient également se charger de la défense. Le vieil elfe soupira, accueillant tout de même ses “invités” avec soulagement.

- Je ne sais pas comment votre compagne a réussi à les calmer, mais cela ne durera pas…

- Le respect Ra’s, le respect.

- Sans doute...Dame Tiphereth est allé s’assurer que les gouvernements ne cèdent pas à la peur, nous voulons éviter une nouvelle chasse aux sorcières. Suivez moi.

Le faisant avancer de tente en tente, ils voyaient de nombreux guérisseurs au bord de l’épuisement, certains pleurant en voyant les personnes mourir dans leurs bras, incapables de faire quoi que ce soit. La situation était critique, ils voyaient dès à présent toute l’horreur de cette épidémie. Mëlinoë s’arrêta, ses yeux changeant de couleur à de nombreuses reprises, comme si elle utilisait des filtres bien particuliers.

- Leur système immunitaire est totalement détruit, votre magie ne semble pas améliorer les choses.

- Au contraire, ça empire.

Se retournant, certains reconnurent immédiatement cette voix, Edwen d’Ombrefroide venait de faire son entrée en scène, bien que beaucoup plus habillée que d’habitude. Faisant signe de les suivre, elle les emmena dans sa tente, où ils purent voir de nombreuses formules et idées écrites un peu partout sur des parchemins, tenus aux “murs” avec des plumes.

- Comme je l’ai dit à l’autre groupe "académique" plus tôt dans la journée, ce “virus” a deux effets. Premièrement, il se nourrit de la magie de sa cible et le fait tomber dans un profond coma. Il vide alors toute énergie magique et la victime meurt. Deuxièmement, si la personne n’est pas un mage, elle détruit totalement le système immunitaire de sa cible. La moindre maladie, même la plus bénigne, est fatale. Après analyses, le système est aussi attaqué par les mages, l’épuisant, ce qui facilite la destruction de sa magie. Le virus dévore l’élément, l’assimile et devient suffisamment puissant pour détruire littéralement votre pouvoir, entité y compris.

- Dame Edwen est venue nous apporter son aide au vu de la situation critique.

- Critique est un mot faible Ra’s. Le virus ne touche que les lunaires, les solaires, alteros, wendigos et abyssaux semblent être épargnés. C’est purement politique.

L’elfe semblant grincer des dents, il n’apprécia qu’on commence à parler de complot au vu de la situation.

- Dame Edwen je ne vous permets pas de faire passer vos intérêts personnels en détournant cette mission de son but.

- Fermez là et observez.

Sortant une fiole de sa poche, elle montra un sang étrangement noir, qui rappelait de très mauvais souvenirs à un certain garou.

- Que faites vous avec cela ? Vous avez perdu la raison !

- Ceci est le sang de vos victimes mages Ra’s.

L’elfe sembla comme horrifié, tournant le dos, ouvrant et fermant son poing nerveusement, la situation empirait de minute en minute.

- Pourquoi Nyx…

- Ferait-elle cela ? Ce n’est pas elle. Le sang des victimes est semblable au liquide abyssal car quelqu’un a utilisé cette matière dans son poison. Ce n’est qu’un composant, mais il semblerait que notre alchimiste psychopathe a réussi à domestiquer la pire arme de l’Abysse. C’est politique Ra’s, je vous l’ai dit. Nuru est un manipulateur, il veut terrifier les foules et faire un maximum de victimes. Les lunaires sont les seuls touchés, il veut donc attiser la haine de ce groupe d’individus. En ajoutant un rapport abyssal, Isil sera forcée de déclarer une guerre ouverte, qui tuera des milliards d’individus, qu’il pourra utiliser en énergie nécromantique. En épargnant des groupes précis, il s’assure qu’ils seront persécutés et donc ne seront pas une menace. Les Wendigos sont sa création et peuvent voir la magie, donc le poison. Les Alteros ont une technologie dont il se méfie, bien que son emprise sur Célène soit grande. Quant aux Solaires, j’ignore si il craint leurs pouvoirs ou si il considère qu’ils sont juste une aberration.

Mëlinoë sembla furieuse, bien que sa patrie d’origine l’avait bannie, il était hors de question que qui que ce soit ne fasse du mal à son île, son empire, son monde, sa demeure. Semblant comme percuter, elle s’adressa à Edwen.

- Vous avez dit que la magie de l’esprit empirait les choses ?

- En effet, comme le virus fonctionne comme l’Abysse, il se nourrit de magie lunaire. Donc si l’esprit soigne temporairement le système immunitaire, il accélère les choses en vérité et n’a donc plus besoin de cet affaiblissement du métabolisme pour tuer.

- Mais vous avez dit que le système immunitaire ralentissait le virus non ? Ne serait il pas possible de le renforcer avec de l’alchimie ou une intervention médicale non magique ?

Edwen sourit, visiblement ravie de la question, il était rare de la voir ainsi, admirative, sans la moindre condescendance.

- Enfin un esprit intéressant. En effet, je suppose qu’avec votre technologie ou de l’alchimie, vous pourriez ralentir le processus. Je vais envoyer un corbeau à l’académie pour avertir Bachiatari, je ne voudrais pas que le vieil homme meurt sous les soins des sages. Je dois continuer à comprendre ce mal, pour évaluer tous les risques, néanmoins...sans les notes de l’alchimiste ou une fiole de virus, je ne pourrais rien faire.

Mëlinoë attrapa Ra’s par la main, le traînant hors de la tente avec énergie.

- Montrez moi votre équipe d’alchimistes et trouvez moi un endroit pour que je puisse intervenir !

Edwen, elle, s’adressa aux jeunes gens restant, avec un petit sourire.

- On se retrouve à nouveau dans les pires moments n’est ce pas ? Vous feriez mieux de filer dehors ou de prêter main forte à l’altero. Nuru est sans doute au courant de votre présence et la foule sera excitée comme par hasard par un de ses agents...Mais ne restez pas dans mes pattes.

Se retournant, ses yeux virèrent au blanc et elle reprit son analyse sur le corps d’un malade posé un peu plus loin, au seuil de la mort. Comme à son habitude, elle était pragmatique et avait besoin de réponses, la douleur et le confort d’un cadavre en sursis était donc secondaire à ses yeux.

Nos amis avaient donc deux possibilité, protéger les malades de cette foule qui ne tarderait pas à être stimulée selon la wendigo ou aider Mëlinoë dans ses interventions un peu plus loin. Dans tous les cas, le temps leur manquait, que ce soit pour celle foule apeurée ou dans l’état de ces pauvres gens...il fallait faire un choix.

L’impuissance des Guérisseurs était évidente.
Dans l’allée centrale, pas une tente ne passait sans que des gémissements de douleur ne retentissent, ou qu’au contraire un silence de mort ne vienne écraser l’espoir des nouveaux arrivants.

// C’est pire que tout ce à quoi je pouvais m’attendre … //

« Regarde autour de toi, » répondit enfin Christyän à Shisui, ayant gardé le silence durant toute la traversée de la foule. « C’est pour eux qu’on est là. » Un grognement de douleur à sa droite lui fit fermer les yeux une seconde. Il y avait des enfants, dans cette tente … « Si on ne fait rien, l’épidémie gagnera tout le continent. Je pense que la question n’est pas « pourquoi avons-nous décidé de venir », mais « pourquoi d’autres ont décidé de ne pas venir ? » »

Si certains visages lui étaient connus, Christyän se rendit rapidement compte qu’il n’avait jamais travaillé avec une bonne partie des membres de leur petit groupe.
Saien Menboku et Mëlinoë étaient particulièrement célèbres chez les garous, en tant que membres éminentes de la guilde de mercenaires La Meute, mais jamais encore Chris n’avait eu l’occasion - « La chance, » aurait dit Hillulica avec aigreure - de les rencontrer. Et vu la situation, ils n’allaient certainement pas avoir le temps de faire causette.
Akira Takahashi, bien qu’élève à l’Académie, lui était totalement inconnu. Il ne savait rien du jeune homme, ni de ses capacités.

Réalisant la situation, il fut soudain étrangement soulagé de la présence familière de Shisui et de Léandra de Karélïs, malgré leurs minces rapports. Il y avait une raison pour laquelle il s'astreignait à mener ses missions seul, ou uniquement avec des personnes qu’il connaissait …

Il ne fut qu’à moitié surpris de voir Edwen d’Ombrefroide déjà présente dans le camp. La conseillère ne lui était pas étrangère, contrairement à la majorité des membres du groupe. En plus de sa participation particulièrement appréciée lors des événements de Nandoriath, cinq ans auparavant, Christyän avait eu plusieurs occasions de la revoir lors d'événements politiques les années suivantes.

// Cela ne signifie pas pour autant que sa seule présence ne m'irrisse pas le poil … //

Car tout comme les vampires, Dame Edwen empestait le sang et le danger. Sa nature de wendigo - que Chris avait découverte peu de temps auparavant lors d’une conversation avec Ayla - le rebutait tout autant que les vampires l’abaient un jour rebuté …
Mais passer 5 ans en présence régulière de plusieurs d’entre eux avait dû apaiser sa méfiance : Ayla, mais également Victoria et sa garde, les conseillers royaux, les serviteurs du château … Peut-être un jour serait-il en mesure de supporter la présence de la Dame sans avoir peur de lui tourner le dos.

« Le virus dévore l’élément, l’assimile et devient suffisamment puissant pour détruire littéralement votre pouvoir, entité y compris. »

Les propos de la Dame ne firent qu'aggraver son sentiment d’urgence.

« Le virus ne touche que les lunaires. »

Son coeur rata un battement. Ra’s n’avait même pas eu besoin de nommer le liquide pour que Christyän le reconnaisse et ne se crispe brutalement.
Après des années d’entraînement, il était parvenu à maîtriser sa terreur face à toute substance abyssale, et avait appris au contraire à s’en servir dans sa lutte contre les créatures ennemies des races lunaires.

Sa première pensée fut dirigée vers Francis, son meilleur ami, marié à l’avatar de l’Abysse, constamment exposé à ce poison.
Sa seconde pensée, incontrôlée, fut un : // Je savais que ça allait arriver ! Je savais qu’elle allait finir par frapper ! //

Sa colère grimpa d’un cran. Mariée à un être lunaire, elle aurait osé provoquer la mort de ses pairs ?!

// Bien sûr qu’elle a osé ; c’est une déesse, un être surpuissant ! Elle ne se laisse pas arrêter par des sentiments et de la bonté ! //

« Ce n’est pas elle, » fit alors la voix de Dame Edwen.

Silencieux, Chris laissa retomber sa colère alors qu’une légère pointe de culpabilité l’assaillait. Voilà donc ce que Francis lui reprochait : de sauter immédiatement aux pires conclusions sur sa femme Nyx.
Ils avaient leurs différends, et rien ne pouvait changer cela.

Reprenant une pose disciplinée, le dos droit et les bras croisés derrière le dos, Chris se reprit, écoutant avec attention les conclusions de la wendigo.

« Nuru est un manipulateur, il veut terrifier les foules et faire un maximum de victimes. Les lunaires sont les seuls touchés, il veut donc attiser la haine de ce groupe d’individus. En ajoutant un rapport abyssal, Isil sera forcée de déclarer une guerre ouverte, qui tuera des milliards d’individus, qu’il pourra utiliser en énergie nécromantique. »

Une fois encore, la vie de millions d’innocents était la mise initiale dans un jeu de stratégie entre entités supérieures …

// Alors c’était ça, cette menace que je sentais venir ? La fin de la magie lunaire ? La destruction des principales races de Rëvalïa ? Un monde où seuls demeurent les démons et les créatures abyssales ? C’était ça, cette terreur constante ? //

L’altéro Mëlinoë échangea avec la Dame quelques paroles sur un potentiel remède alchimique non-magique, puis partit d’un pas pressé vers l’extérieur de la tente en compagnie de Ra’s.

Dame Edwen s’adressa à eux avec son éternel air supérieur. Bien qu’ils aient travaillé ensembles ces dernières années, Christyän doutait qu’elle leur accorde la moindre considération, et il ne fut pas déçu.
De toute évidence, ils n’étaient qu’une gêne pour elle … Eh bien, même si son ton lui déplut grandement, Chris ne fut pas mécontent de quitter la tente de la Conseillère royale.

Se tournant vers le groupe, le loup-garou reprit instinctivement son rôle d’alpha.

« De toute évidence, le temps presse. Il est temps de nous séparer. Professeur, vous - … Pardon, une vieille habitude, » fit-il avec un sourire contrit à Léandra. « Je pense que si nous allons travailler ensembles et protéger nos arrières respectifs, nous pouvons tous nous appeler par nos prénoms. » Il jeta un regard derrière eux, vers l’entrée du camps, où plusieurs hommes en armures faisaient barrage à la foule. « Léandra, donc, la réputation de vos Nouveaux Veilleurs n’est plus à prouver. Je n’ai aucuns doutes sur leur capacité à tenir les gens en respect, d’autant plus qu’ils sont largement épaulés par la Meute. À mon avis, vous devriez accompagner Mëlinoë dans sa recherche d’un remède. Vous avez longtemps été professeure à l’Académie, et vos connaissances des propriétés naturelles de certaines espèces pourraient peut-être être combinées à leurs recherches en alchimie. Cependant le choix reste vôtre, je ne me permettrai pas de vous l’imposer. »

Son regard se posa sur le dragon-garou. Le surveillant de l’Académie n’avait rien d’un guerrier à ses yeux. L’exposer à la foule en colère risquait d’être dangereux pour lui, mais également pour la foule si le garou se décidait à se changer en dragon sous le coup de la panique.
Le mieux était qu’il reste au sein du camps. Peut-être Mëlinoë ou Ra’s pourraient-ils avoir besoin de lui.

« Shisui, vous êtes surveillant à l’Académie depuis plusieurs années. Vous avez côtoyé le professeur Vikaa et plusieurs professeurs de Découverte. Peut-être votre savoir sera-t-il plus pertinent aux côtés de Ra’s et de Mëlinoë ? »

Il ne parvenait pas à tutoyer le surveillant. Bien qu’il ait désormais l’apparence d’un garçon plus jeune que Chris, il fut un temps leurs rapports de force étaient inversés ; Shisui étant l'adulte veillant sur les élèves, et Chris le gamin réticent à aller en cours. Il lui faudrait sans doute un peu de temps avant de considérer le dragon comme un égal, et non comme un simili-professeur.

Puis son regard se posa sur le plus jeune du groupe.
Même s’il saluait la fiabilité de l’Académie à envoyer du renfort, il douta un instant de l’utilité de ce renfort. Akira Takahashi était un enfant. Et voilà que Shitennô l’envoyait dans une quête probablement mortelle, pour …

Oh, tu veux dire : comme toi quand tu avais 17 ans, à l’enlèvement d’Ayla ? Comme toi quand tu avais 14 ans, à la mort de ton frère ? Comme toi quand tu avais deux mois, abandonné dans la forêt ? En fait : comme toi tous les ans depuis que tu es en âge de raisonner ?

// Oui, bon, peut-être pas si inutile que ça. //

Il ne connaissait rien de l’histoire de cet enfant au regard dur et sévère. Il ne connaissait rien de ses capacités, ni de ses motivations. La seule chose qu’il pouvait sentir de lui était sa nature de garou, pour laquelle ses instincts lui criaient de rester attentif.
Si un adulte avait tenté de l’empêcher de se battre, lorsqu’il avait son âge, Chris n’aurait pas bien réagi, et aurait sans doute fait une bêtise en tentant de prouver sa valeur …

Le loup-garou eut un sourire en pensant qu’à présent, c’était lui, l’adulte … Comme le temps était passé vite.

« Akira, on ne se connait pas ; je ne peux pas juger de tes capacités ou de tes connaissances, mais de ce que Shitennô m’a laissé entendre avant de partir, ta magie élémentaire ne s’est pas manifestée. Comme tu as entendu Ombrefroide le dire, ça n’empêchera pas la maladie de t’atteindre. En tant que garou, » il ignora la surprise sur le visage du jeune homme à la mention de sa nature, « tu es aussi vulnérable que nous tous ici. Il te faudra être prudent. »

Ses yeux s'attardèrent sur les hanches du garçon.

« Je vois que tu as amené des armes. En tant que première année, je ne pense pas que tes connaissances en alchimie puissent aider à trouver un remède - arrête-moi si je me trompe. Si tu nous accompagnes sur le front, … » La voix de Sirhc, son Pouvoir, s’éleva dans sa tête en faisant un commentaire déplacé sur les habitudes martiales que Chris avait prises, mais celui-ci l’ignora et continua : « je te demanderai de t’en servir le moins possible. Notre rôle n’est pas celui de guerrier. Nous ne sommes pas ici pour nous battre ou pour tuer, mais pour protéger. Si la situation dégénère, cherche avant tout à assommer ceux que tu ne pourras pas repousser, ou à les blesser superficiellement. Dans la mesure du possible : pas de morts, sauf si ta vie est expressément en danger. D’accord ? » finit-il avec une voix ferme, mais également compréhensive.

En le laissant les accompagner, ils confiaient tous leur vie au garçon. Car s’il portait une arme, il était tout aussi responsable qu’eux de la vie des malades du camps, mais également de celle de ses compagnons d’armes.

Ayla serait fière de toi, mon loupiot ! Voilà que tu prends un gamin sous ton aile - enfin, tes pattes. Mon Christi-Chou grandit ! Oh, j’en ai l’arme à l’oeil !

// Oh, ferme-la, Sirhc ! //

Christyän, bien que gardant un très mauvais souvenir de ses cours d’alchimie à l’Académie, était un mage de la Terre, et avait passé les cinq dernières années en compagnie de l’homme - ou plutôt, l’elfe - possédant le plus de connaissances sur les propriétés de la flore rëvalïenne. « Maîtriser la Terre, » lui répétait régulièrement Arda, « implique de maîtriser la terre. » La « Terre » au sens de la magie, et la « terre » au sens des créatures vivantes, des plantes, des roches, des cristaux … Sa formation d’apprenti reposait tout autant sur “comment faire une bonne soupe à partir d’aliments aléatoires” que sur “comment faire s’effondrer tout un flanc de la montagne sans bouger le petit doigt et sans abimer les plus jeunes pousses de séquoia”.

Il aurait très bien pu se joindre aux recherches du remède, mais ses instincts le poussaient à garder un oeil attentif sur la foule. Et s’il y avait une chose que ne l’avait jamais trahi, c’était son instinct : aussi animal qu’humain, autant expérience que magie.

Retournant vers l’entrée nord du camp, il vit à quelques mètres, donnant des ordres à plusieurs hommes en armure, une jeune femme aux traits semblables à ceux de Léandra. Il se souvint que celle-ci était venue avec sa soeur, également membre des Nouveaux Veilleurs. Lorsque leurs regards se croisèrent, il lui offrit un salut de la tête cordial, puis alla prendre place aux côtés d’un des gardiens.

Un rapide échange avec l’homme lui rappela la situation globale. Il repensa immédiatement à sa première idée : celle de construire une barricade tout autour du camp.
Pour l’instant, cela ne semblait pas nécessaire, mais au moindre geste d’agressivité, à la moindre menace, Christyän était prêt à édifier un mur en roche de plusieurs mètres tout autour du camp, ne laissant que deux entrées au nord et au sud.
Il était prêt.

« Un visage familier ! » fit soudain une voix à côté de lui.

Tournant la tête, il vit Saien Menboku lui offrir un large sourire un peu taquin, ainsi qu’un signe de la main …

// Eh merde. //

La situation était critique, si Mëlinoë n'était pas aussi pragmatique que la conseillère en occultisme, elle avait bien compris la situation. Les trois quarts des malades étaient en phase terminale, les ressources limitées, elle devait malheureusement les priver de traitement en l'absence d'un remède efficace. Même avec un renforcement radical des défenses immunitaires, ils ne gagneraient qu'une heure et encore. En revanche, les moins affaiblis pouvaient tenir quelques jours, voir une semaine même ! Cela donnerait le temps aux équipes de recherches de trouver un véritable remède. Tout dépendait de l'académie et de ses recherches sur l'alchimiste. La wendigo le savait, c'est pourquoi elle avait poussée la reine à leur donner un navire, même si pour cela, elle devait mettre en danger la vie de sa propre fille. En vérité, tout ce bordel était clairement une course contre la montre. Elle devait gagner du temps, pour stabiliser les autres, analyser le poison, tout en confiant leur vie aux défenseurs, qui devaient attendre l'arrivée de Tiphereth, au final, tout n'était qu'une question de temps.

Calmant les jeunes recrues qui refusaient de laisser les malades les plus faibles succomber, elle en attrapa un par le col et lui rappela son devoir : sauver des vies. Si ils refusaient de laisser les autres à leur sort, ils perdraient des ressources et verraient leurs efforts inutiles. De plus, ceux pouvant être sauvés succomberaient et tout cela n'aurait servi à rien. Finalement, Ra's accepta sa vision des choses dans un soupire. Ils devaient accepter cette évidence, en cas de catastrophe de cette ampleur, il faut parfois calculer froidement ses actions. Sacrifier milles personnes, pour en sauver deux milles.

Satisfaite, elle dressa une liste des fournitures des alchimistes, voyant clairement qu'ils étaient sur leurs réserves, après tout, c'était un camp d'urgence. Tapant ses talons tel un salut militaire, elle laissa une lumière bleutée sortir de ces derniers, s'envolant très lentement vers le haut de la tente et arracha une partie du plafond. Redescendant, elle plaça différents objets métalliques en cercle, demandant à ce qu'on ne les touche pas, puis fit glisser une plaque de son bras. Sans montrer exactement ce qu'elle faisait, elle sembla tapoter sur des boutons et quelques secondes après, la foudre, alors qu'il n'y avait pas le moindre nuage, s’abattit dans le cercle. L’excédent électrique et la zone d'effet furent absorbés par les objets métalliques, bien que tout le monde avait sursauté sous la surprise. Là où la foudre avait frappée, se trouvaient deux caisses, dont une particulièrement imposante. Poussant une pile de papiers et de fioles d'une table d'un geste, elle ouvrit l'une des caisses et créa rapidement l'équivalent d'un mini laboratoire. Sortant une petite ampoule où de l’électricité semblait tourner à toute vitesse, elle la brancha sur un appareil, alimentant toute l'installation en un instant. Prenant une feuille par terre, elle dessina un schéma simpliste, indiquant un temps, puis un bouton à appuyer à ce moment, ainsi que le but de chaque partie des appareils.  

- Je n'ai pas le temps pour vous former, suivez ces instructions et vous autres, utilisez vos tables d'alchimie. Vous trouverez suffisamment de composants dans cette caisse.

Sortant une autre feuille, elle écrivit rapidement une formule alchimiste.

- Par expérience, je ne connais pas de meilleure renforcement cellulaire que ce procédé. Je pourrais faire mieux, mais il me faudrait du sang de vampire, si il n'est pas pollué ou de l'eau d'Elmenda...et nous n'avons ni le temps d'en chercher, ni de négocier. Malgré la douleur de vos patients, administrez les dès que c'est terminé. Il faut un choc capable de contrer ce poison, alors faites votre devoir.

Se retournant, elle observa ceux étant restés pour l'aider, utilisant rapidement son laboratoire avant de le passer aux alchimistes, stupéfaits par la vitesse de l'appareil et par les gestes de l'altero.

- Prenez ces fioles, donnez en un quart par malade, faites les boire de force si il le faut et forcez les à avaler. Les plus atteints vont avoir une réaction violente, voir même cracher du sang vu le choc. Gardez bien la bouche fermée, si une seule goutte de leur sang vient dans votre organisme, vous êtes fichus. Dans le doute, évitez le contact physique avec le sang, les rares études sur l'abysse montrent une facilité à rentrer dans la chair...

Donnant les fioles, elle s'adressa à tout le monde en frappant une fois dans ses mains, ne créant étrangement pas un bruit métalique.

- Ces gens comptent sur nous, oubliez vos peurs, les souffrances et faites ce qu'il faut. Après ingestion, prenez leur une fiole de sang et amenez la moi. Peut être qu'on trouvera assez de poison pour l'analyser. Quant aux autres...

Regarde la sortie de la tente en soupira, un regard légèrement inquiet se lisant malgré tout, ses mains sous forme de poings tremblant.

- Espérons qu'ils pourront les contenir...et nous offrir le luxe du temps.

- Moi je dis, on fonce dans le tas.

- Chef avec tout le respect que je vous dois...

- Pourquoi quand quelqu'un dit "avec tout le respect que je vous dois", j'entends un "ta gueule" ?

- C'est un mauvais plan...

- Vu l'autre excité, le meilleur plan c'est l'attaque. On leur frappe dans les valseuses et ils sont calmés.

Éclatant de rire sous les réactions de ses vétérans absolument blasés par ses réactions impulsives, Saien finit par jeter un coup d'oeil sur cet espèce de prédicateur de mauvaise augure, qui excitait la foule depuis tout à l'heure. Absolument sérieuse, elle le fixait de son unique œil, la main sur son arme, elle n'aimait absolument pas ça. Malgré ses demandes de rester calme, ce petit enfoiré accusait les mages et prophétisait de nouvelles brèches, des puits abyssaux, un second festival de la réconciliation. Il parlait de l'abysse, de son retour pour dévorer les humains, le tout encouragé par les mages, étant ses créateurs. L'abysse était connue pour dévorer par magie, il était donc très convaincant. Seulement, un tel savoir, ce n'était clairement pas par hasard, ce type cherchait un bain de sang et elle détestait ça.

Quand la jeune de Karélïs était arrivée, Saien et elle avaient élaborés une stratégie basique. Intimider pour éviter tout rapprochement, ayant même tracé une ligne à ne pas franchir. En gros, leur faire suffisamment peur ou les impressionner, afin qu'aucune violence ne soit à déplorer. Tiphereth savait calmer les esprits, les deux femmes étaient plutôt dans une optique de mettre au tapis.

- La lune a été blessée par notre orgeuil, aujourd'hui, montrons à ces mages que nous lui sommes toujours fidèle et elle viendra nous soigner. Combattons ensemble cette abomi...

N'ayant pas fini sa phrase, la mercenaire prit sa chaussure et lui envoya au visage, le faisant regarder la jeune femme avec un air totalement ahuri. Enfin, il fallait l'avouer, c'était une situation aussi surréaliste, que comique pour l'occasion.

- T'a pas fini tes conneries ?!

Sans attendre, elle lui envoya son autre chaussure, attrapa un bâton, puis fonça sur un des esprits les plus échauffés, lui envoyant un coup si violent, que l'arme en bois se cassa sur son crâne, malgré le fait qu'elle n'utilisait qu'une seule main. Soupirant, elle jeta l'arme au loin, faisant craquer ses doigts avec son index, regardant la foule avec un petit sourire en coin.

- Bon, on va se regarder toute la journée ? Ou on va se battre ?

Riant, un homme chauve, faisant environ deux mètres, bien musclé, fonça sur la jeune femme. Souriant, elle courut dans sa direction, fit perdre l'équilibre à un homme sur son passage, profita du corps pour sauter, puis retomba violemment sur son adversaire en lui donnant...un coup de tête. Essuyant le sang sur son front, vu la violence du choc, elle fit craquer sa nuque, tandis que le mastodonte tombait par terre inconscient.

- Plus ils sont gros...La Meute !

Les mercenaire sourirent en même temps, puis crièrent un "hourra", avant de prendre leur armes et regarder leur chef. Saien leur rendit la sourire, avant de chantonner.

- Personne n’arrête la Meute, car on frappe comme des bourrins. A moins que dans les parages, il n'y ait des petits culs et du vin ♪ Méritons notre paye les gars !

Sans plus attendre, elle fonça sur la foule avec son habituel air amusé, lançant sa griffe mécanique, qui envoya faire un vol plané derrière elle. Dans le même mouvement, les dix hommes de la Meute se jetèrent sur les autres en criant, faisant partir en courant les plus effrayés par cette femme surréaliste et sa compagnie folle furieuse. Tout l'objectif résidait en ce plan, frapper les plus forts, pour effrayer les plus faibles et naturellement, cela marchait !

Rapidement, les Veilleurs se joignirent à la fête, bien que visiblement beaucoup plus sains d'esprits que la troupe de parias spécialisés en mercenariat. Suivirent alors les renforts de l'académie et naturellement, les autres ayant répondu à l'appel de Tiphereth. Chacun démontrant son potentiel, notamment le jeune Christyän qui déploya sa magie élémentaire, le combat fut aussi rapide que violent. Parfois pour remettre un membre en place, il faut le briser. Saien frappait fort, mais où était le problème ? Après tout, fallait bien leur donner du boulot aux guérisseurs...

Isolée dans une tente un peu plus loin, Edwen l'ayant rejoint, ainsi que d'autres personnes curieuses ou ayant fini de donner leurs, fioles, Mëlinoë analysait le sang qu'on lui apportait sans prendre le temps de souffler. Faisant léviter le sang entre ses mains, l'épuisement se lisait sur son visage, sous le regard étrangement inquiet de la wendigo.

- Pourquoi ne pas juste les renforcer ? Même ma vision n'a rien donnée. Vous allez vous tuer à la tache...

- L'abandon ne fait pas partie de mon vocabulaire. Il me faut plus de puissance de traitement...

Faisant retomber le sang dans une sphère attendant plus bas, elle la rangea dans une caisse avec d'autres, avant de faire glisser la plaque de l'emplacement de son cœur. Sous une lumière bleutée particulièrement intense, la pièce sembla inondée d'énergie magique presque pure, bien que la majeure partie de cette puissance résidait dans le corps de la jeune femme. Ses yeux prirent cette même couleur, son diadème technologique aussi, laissant les vagues d'énergie magique tourner à toute vitesse autours d'elle. Voyant le risque, la conseillère recula de quelques mètres, bien que restant admirative.

- Jamais l'expression avoir un cœur magique n'aura été aussi véridique...

N'y prêtant pas attention, l'altero, visiblement concentrée sur sa tâche, fit léviter le contenu d'une autre fiole, semblant séparer les différents éléments du sang, sous des espèces de boules liquides lévitant indépendamment.

- Du liquide abyssal...mais...comme si il était...mort ?

Elle ne comprenait pas, en voyant les choses comme de la magie pure, vu que son corps était devenue une création magique pensant comme un pouvoir, une entité, elle voyait l'abysse comme elle ne l'avait encore jamais vue. Elle avait déjà étudiée ses effets, mais il s'agissait d'une forme de vie étrange, composée de multiples éléments s'entrechoquant, se combattant. Là, il n'y avait rien, juste une forme chaotique qui semblait absorber la magie avant de s'éteindre.

- L'élixir de purification des solaires ? Il...combat le liquide...Oh bon sang...C'est lui qui détruit le système immunitaire !

Réfléchissant un instant, Edwen plongea dans ses souvenirs et l'étude des solaires. Aurë l'avait laissée entrer dans sa ville en échange d'informations sur Raphaël, ayant eu tout le loisir d'étudier leur culture et d'être protégée des sages également.

- La purification...toute personne désireuse de vivre avec les solaires doit boire une potion. Cette potion puise dans le système immunitaire pour combattre toute "imperfection". Mais l'abysse n'est sensible qu'au lunaire...Nous avons notre coupable et de quoi accuser les solaires. Bien pensé Nuru...bien pensé...

Semblant de plus en plus faible, l'altero continua son analyse, voyant une espèce d'énergie bleutée, mais macabre, un parasite se nourrissant de la vie pour renforcer son pouvoir...Marquant les âmes.

- C'est...bleuté...nécromantique...affecte l'âme...mais...

- Ne tue pas.

Observant la wendigo, de même que les autres, ne l'appréciant guère, Mëlinoë ne s'attendait pas vraiment à ce que la conseillère complète sa phrase. Soupirant, la mage ritualiste passa une main dans ses cheveux, avant de serrer les poings, jusqu'au sang, se mordant la lèvre, puis grognant dans un air purement bestial. Il était rare de la voir aussi peu humaine, dans son attitude, autrement qu'avec son absence de moralité.

- C'est un poison nécromantique que j'ai mis au point avec mon frère à notre retour du plan lunaire. On savait que les sages allaient attaquer, mais Karnevriath nous avait dans le collimateur. On voulait une arme de dissuasion, capable de marquer les âmes, pour les absorber en grande quantité. Il suffisait d'empoisonner leur réserve d'eau et le tour était joué...Ils ne remarqueraient rien, mais nous aurions pu tous les tuer en un seul rituel. La royauté le savait et n'a rien fait, un plan parfait...Puis notre laboratoire a été saboté, j'ignore comment Nuru a mis la main dessus. Il l'a perfectionné...et cet enfoiré s'en sert pour m'accuser et contaminer ses victimes. Quelle belle preuve d'amour "paternel"...

Mëlinoë se reconcentra sur son analyse, elle lui tirerait les vers du nez plus tard. Elle ne lui faisait pas confiance, mais vu ses rapports sur Nuru, ayant eu une longue discussion avec les sages juste après l'incident des "retrouvailles", cela correspondait bien à sa façon de faire. Ouvrant grand les yeux, elle bougea les mains et isola un dixième du sang infecté, bien que les autres ne remarquèrent quasiment rien. C'était noir, agressif, la cause de tous leurs problèmes. Une sorte de maladie, créant une sorte de magie, comme un transfert.

- Je l'ai trouvé...le vrai virus. Le liquide abyssal et l'élixir de purification affaiblissent l'organisme. Votre "dissuasion" propage le poison, la méthode de contamination idéale, tout en ciblant l'âme. Tandis que cette chose...crée une maladie, liant à une magie, comme un portail...attaquant l'énergie et...l'âme ? C'est si noir, si froid, si brut...même les éléments des zones sacrées semblent moins violentes...Je n'ai jamais vu cela.

Edwen ferma les yeux, c'était bien pire que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Parlant d'une voix particulièrement lugubre.

- Moi si. Aux "retrouvailles" de l'académie. L'assassin en utilisait. Le Néant...

- Faut croire que l'animateur était pas juste un animateur ? Et c'est reparti...A terre !

Plongeant à terre, Saien évita de justesse un sort noir tiré par le prédicateur sur qui elle avait lancée ses chaussures, une action peu efficace pour un type aussi redoutable. Si le combat avait été gagné, les autres ayant reculé, s'étant enfuis ou avait arrêté de se battre, le principal ennemi avait décidé de prendre les choses en mains. Chaque sort était sorte de trait noir, créant une..faille. Cette dernière semblait comme un déchirement dans le vide, aspirant tout ce qui se trouvait proche d'elle dans un endroit totalement noir.

- Je sais pas ce qu'est cette merde. Mais déchirer la réalité me semble un peu excessif mon grand ! Oh...

Faisant une série de sauts et de courses, elle évita de multiples failles, tout en hurlant ses ordres.

- Évacuez les civils bon sang ! Même l'abysse je trouve ça bon pour la santé en comparai...

Un trait fonçant droit dans sa direction la surprit, elle fut attrapée et plaquée au sol par la veilleuse l'épaulant, les de Karélïs étaient impressionnantes en vérité.

- Si votre espèce pitoyable ne peut pas s'entretuer sagement, je vais m'assurer de vous guider vers votre nouvelle grandeur ! Vos âmes serviront mon maître, d'une manière ou d'une autre.

Le mage cessa d'attaquer la mercenaire, créant une boule d'énergie noire entre ses mains, ouvrant lentement une faille gigantesque, commençant à créer une attraction de plus en plus forte. Son corps était blanc, couverts de veines noires, comme ses yeux, totalement obscurcis par sa magie. Un spectacle relativement effrayant et peu agréable. Le temps n'était plus à la provocation, il leur fallait un plan. Le problème, c'était qu'ils ne comprenaient rien à cette magie et surtout, ils n'avaient personne capables de la contrer. Regardant la veilleuse, la jeune femme lui fit un signe de tête. La mercenaire fonça vers son arme, abandonnée pour les combats contre la foule et avança lentement, pour ne pas être aspirés, en direction du mage. Sa collègue, accompagné des veilleurs et de la Meute, firent reculer tout le monde et évacuer même certains guérisseurs.

Saien, s'adressant à Christyän, lui ordonna d'aller évacuer tout le monde, elle s'occupait de ce type. Devant son refus, elle lui rappela que cette saloperie était une magie inconnue et qu'il valait mieux qu'un non mage tente de la stopper. Il était hors de question que le "louveteau" reparte dans une nouvelle abysse. Le voyant perdu dans ses souvenirs, elle utilisa sa griffe altero pour le pousser vers les autres, avant de murmurer un "désolé" et se jeta sur le mage. Ce dernier esquiva ses coups avec une sorte d'armure de roches noires, puis lui envoya un trait noir qui créa une réaction brutale, la faisant cracher du sang, tandis que la faille augmentait, la faisant s'envoler vers cette dernière.

- Je vais me le faire...

En plein vol, elle ferma son unique oeil et lui enfonça la lame dans l'épaule, n'arrivant pas à être plus précise, avant de sentir la faille l'avaler. Elle fut soudainement aspirée, mais de l'autre côté, comme si une force inconnue l'arrachait à ce destin funèbre, mais avec une énergie particulièrement corrompue également. Tombant sur le sol à la renverse, elle remarqua la présence de deux hommes. L'un habillé en noir, encapuchonné, avec un heaume sur le visage, devant une sorte de portail en ossement, où il y avait une forte énergie rouge. Thanatos, elle le connaissait de réputation, le professeur d'ombre, il aurait pu venir plus tôt ce con...

Observant le deuxième individu, elle le vit s'accrocher faiblement à sa canne, habillé en blanc, observant le sang sur le sol. Des cheveux blancs, du sang plein la bouche, venant de faire disparaitre une ombre gigantesque avec un œil géant...Pas de doute, c'était bien Shitennô Bachiatari. Il venait de faire disparaître la faille avec son pouvoir...bon sang, combien d'années de vies venait il encore de sacrifier ?! Il était dans un de ces états...

Le voyant se relever, elle voulut dire quelque chose, avant qu'il ne téléporte dans un mouvement de main le mage sur lui et crée un mur en cristal. Thanatos l'attrapa alors par la gorge, puis le frappa contre le mur avec une force tellement inhumaine et à répétition, que le mage tomba au sol, presque battu à mort. Elle en eut mal à chaque coup, ce prof' ne semblait vraiment pas plaisanter...

- C'était un peu extrême non ?

- Quand on déchire la réalité, j'ai tendance à perdre mon calme.

Finalement, Tiphereth fit enfin son apparition, peu de temps après l’arrivée des membres de l’académie. Calmant les esprits de sa voix surnaturelle, elle dissipa rapidement leurs doutes et le poison insinué dans leurs esprits sur les mages. Elle parla même de la Lune, leur expliquant qu’ils ne devaient pas vivre pour elle, mais pour eux. Elle était leur créatrice, mais ils ne leur devait pas plus que leur mère, ils ne devaient surtout pas l’oublier. Elle promit alors d’avoir trouvé le moyen de soigner tous les malades infectés, mais qu’elle ne pourrait le faire qu’une fois. Pleins d’espoirs, de nombreux malades revinrent au camp, tandis que Ra’s observait dépité les cadavres de ceux qu’ils n’avaient pas pu sauver.

Les guérisseurs se préparèrent à les enterrer, avant qu’ils ne soient interrompus par Shitennô, posant sa main sur le front de chaque corps, murmurant quelques paroles devant les yeux du vieil elfe. Tombant de fatigue, il fut rattrapé par Tiphereth, le faisant doucement s’asseoir. Utilisant ainsi le rituel de protection des spirites, il venait de marquer leurs âmes, les permettant ainsi de rejoindre Avalon, le monde des morts et échapper ainsi à Nuru. Comme il le dit en souriant faiblement : “il n’y a pas de petite victoire et nous leur devons pas cela. A défaut de sauver leur corps, nous pouvons soigneur leurs âmes”. Le laissant récupérer, l’enfant d’Isil se dirigea vers Saien et la soigna, sous le regard inquiet de sa compagne, lui criant à quel point elle était irresponsable, avant que cette dernière ne l’embrasse, le meilleur moyen pour la calmer. Souriant sous ce geste, la guérisseuse s’adressa enfin à la fine équipe.

- Grâce à Mëlinoë, nous savons maintenant comment est fait ce mal. Nuru, mon frère...a sombré dans la folie et veut recréer ce monde par nécromancie. Nous devons autant protéger nos vivants, que nos morts, mais les spirites ne sont pas assez nombreux et je doute que le directeur adjoint puisse soigner toute notre population. Il faut lutter efficacement contre cette épidémie. Aujourd’hui, nous allons soigner tous les malades de Rëvalïa, mais nous devons trouver un remède et pour se préparer au pire, nous pouvons le fabriquer.

Edwen sorti de l’ombre, les réjouissances et les accolades n’étaient pas exactement son genre, montrant donc les différents éléments découverts par l’altero, avant de sourire d’un air carnassier, comme à chaque fois qu’elle trouvait une faiblesse.

- En voulant accuser les solaires, Nuru a fait une erreur, il nous a donné le remède exact à son poison. En éliminant le facteur abyssal et en régénérant suffisamment l'organisme, nous pouvons exploiter l'élixir solaire et soigner tout le monde. Il n'existe qu'une seule substance capable de combattre l'abysse efficacement, renforcer et soigner.

- Le sang d'Ayla.

Se retournant, ils virent un visage bien particulier entrer dans la tente, cheveux noirs, yeux rouges, peau blanche, présence imposante, aura de magie écrasante...Nyx Dowell, l'Abysse en personne. Edwen fit immédiatement apparaître son bâton, prête à en découdre, avant que Shitennô ne se lève et vienne serrer la main de la jeune femme, lui souriant.

- Merci d'être venue Nyx, je sais que vous demande beaucoup.

La divinité observa le célestin avec un sourire, visiblement ravie de voir un visage amical, laissant échapper un petit rire moqueur.

- Oh, on est déjà dans un débat interminable. Isil n'aura qu'une raison de plus pour me prendre la tête. Et puis, cette politique "divine" n'a aucun sens. Je ne comprends pas comment elle peut rester passive.

Tiphereth observa les deux être en croisant les bras, visiblement peu ravie de la situation, bien qu'étant au courant depuis quelques temps. Soupirant, elle finit par s'asseoir sur le sol, faisant signe à Edwen de se calmer. La wendigo ne semblait pas spécialement rassurée, mais finit par faire disparaître son arme, fixant la divinité du regard. Nyx, elle, l'ignora, s'approchant du centre de la tente, Shitennô posant sa main sur son épaule, avant de reculer.

- Tâchez de ne pas bouger et par pitié Chris, essaie de te détendre, je sens plus ta peur que l'énergie vitale des malades, c'est difficile de se concentrer.

Ra's, observant la situation, tardivement mis au courant, témoigna néanmoins son inquiétude, n'appréciant pas du tout la divinité et encore moins le plan dont personne ne connaissait visiblement l'existence.

- Vos plans sont toujours aussi effrayants Shi'...

Lui souriant, le célestin ricana doucement, lui tendant un gâteau sur une assiette sorti tout droit de sa manche.

- Mais ils marchent ! Taisez vous et mangez.

- Silence.

Sous l'autorité de la déesse, sapant totalement leur volonté, cette dernière écarta les bras et déploya une quantité phénoménale de magie. Bien que son énergie noire fut omniprésente, il ne s'agissait pas de la corruption habituelle de l'Abysse. Lévitant, la jeune femme s'enleva dans les airs, le haut de la tente se déchirant et s'envolant sous la pression magique. Joignant ses mains, elle concentra une quantité d'énergie phénoménale, dépassant de loin tous ce que les autres avaient pu voir, avant de libérer une gigantesque onde de choc, les faisant tomber, au même moment qu'une immense vague d'énergie magique, qui les traversa tous. Descendant lentement sur le sol, elle fit craquer sa nuque.

- Vous pouvez vérifier leur état. Vous m'excuserez, mais j'ai besoin de m'asseoir...

Ra's se leva, puis appela d'autres guérisseurs, les malades se levant un par un, visiblement en parfaite santé. Edwen observa la divinité avec un air visiblement choqué.

- Vous les avez soigné ?...

- J'ai transformé ce que vous appelez "liquide abyssal", avec un peu de mon être dans une personne, je peux en faire ce que je désire. Dans ce cas, j'ai purgé et soigné tout son organisme. N'ayez crainte, cette part étant déjà fragilisée, il ne reste plus rien.

Respirant un grand coup, son corps étant parcourus de léger tremblements, elle attrapa sa main ayant le plus de tremblements, la regardant, comme si elle tentait de reprendre le contrôle d'un corps particulièrement affaibli.

- En vérité, changer un corps n'est pas difficile. Ce qu'il est, c'est de toucher tout un monde, sans que la nature de ma magie les affectent. Ma naissance a tué de nombreuses personnes, je ne souhaite pas réitérer l'expérience.

Se levant, elle tituba, avant de se faire aider par Mëlinoë et Saien, les deux lui souriant chaleureusement.

- Vous avez besoin de vous reposer chez vous Nyx, nous allons vous conduire à Ràva, près de votre "porte". Mon téléporteur ne vous blessera pas, il serait plus prudent que vous n'utilisiez pas vos pouvoirs.

- Je...merci.

Observant Christyän, elle afficha un petit sourire attristé, ayant une dernière chose à faire.

- Je ne pourrais pas le refaire, le sang d'Ayla peut faire le même effet...bien que plus violent. Elle est à Nandoriath...mais elle souffre, elle a besoin de toi. Elle se sent...responsable...et Isil a encouragé ce sentiment. Elle pense qu'elle combattra mieux Nuru, mais elle est en train de sombrer, sauve là.

Edwen ricana devant ce spectacle, applaudissant, n'appréciant clairement pas la divinité et encore moins l'attitude de Christyän, qui pensait savoir mieux que tout le monde, alors qu'il était incapable de protéger les siens.

- Quelle bonne idée ! Attend que celle que tu as jurée de protéger soit dans le mal, histoire qu'elle t'idéalise encore plus une fois arrivé. Bonne stratégie, à moins que tu sois tellement obsédé par le fait de dire à tout le monde ce qu'il faut faire, que tu oublies ta soi disant amie. Peut être qu'il te faut un second Raän pour enfin...

- Fermez là Edwen ou je vous jure que je vous tue.

Nyx semblait particulièrement sérieuse, son regard terrifiant ayant refait son apparition, ce qui suffit à faire reculer la wendigo,
préférant ne pas tenter le diable. Soupirant, elle préféra se téléporter, prédisant leur prochaine rencontre à la catastrophe suivante ou un repas de midi à l'académie, ce qui correspondait plus ou moins à la même chose. La divinité observa Christyän avec un air désolé, puis se téléporta à l'extérieur avec le reste de la Meute,
disparaissant sous la foudre de cette technologie bien particulière.
Shitennô s'étira, faisant comme si de rien n'était, comme d'habitude, mangeant des carrés de sucre dans un bol, parlant entre chaque bouchée.

- Bon, je vous dépose ? La sphère est réparée. Entre nous...Fujiin se fait vieux.

S’il avait connu la misère, la faim et le danger, Christyän n’avait encore jamais connu la guerre.

S’il avait connu le sang, la lutte pour la survie, la perte et la douleur, Christyän n’avait encore jamais connu le poids d’une armée combattant d’un seul homme, coudes serrés et voix hurlant pour la victoire.

S’il avait connu la vie en meute, la chaleur et le bonheur de compter sur ses proches, le soulagement de pouvoir leur tourner le dos et de savoir qu’il ne risquait rien … Christyän n’avait encore jamais connu la Meute.

Et la Meute, puissante et dévastatrice, était un spectacle des plus impressionnants qu’il lui ait été donné de voir.

// Enfin, si l’on oublie les nombreuses manifestations magiques d’Arda et de la Lune. Rien ne peut surpasser une telle beauté. //

La charge de la Meute sur la foule, flanquée des Veilleurs et des quelques envoyés de l’Académie, fit à Chris l’effet d’une vague s’abattant sur le littoral : puissante, inévitable et insurmontable.
Mais si les mercenaires ne semblaient pas ciller de tapper sur de simples paysans en colère, Chris, lui, était un peu plus consciencieux.

S’assurant de n’emporter personne, le jeune disciple du Sage de la Terre leva légèrement les deux mains en parallèle, puisant au fond de lui, en appelant à la Terre et à sa magie.
L’instant d’après, le sol sembla trembler sous les pieds de la foule, et une immense barrière de terre et de pierre s’éleva tout autour du camps de malades, en bloquant l’accès à quiconque voudrait s’y précipiter.

Bien vu, Ô grand protecteur des pauvres malades innocents. Bon, on peut aller casser des bouches maintenant ?

// De toute évidence, tu dormais pendant les leçons d’Arda. La violence n’est pas la réponse à tout, tu s- //

Oui, mais en attendant, ils ont sorti des armes ! Alors arrête de blablater et fonce !

Un grognement menaçant s’éleva au dessus de la foule, faisant presque sursauter Christyän à la vue d’un dragon de glace survolant les citoyens énervés. Si le loup avait considérablement gagné en puissance ces dernières années, il pouvait voir avec plaisir que c’était également le cas de certains de ses anciens camarades.
Il avait eu tort de sous-estimer Shisui. Le jeune homme pouvait se montrer bien plus efficace qu’une simple mascotte !

Un cri retentit soudain parmi le brouhaha du combat, et Chris écarquilla les yeux lorsqu’un sort d’une profonde noirceur déchira la foule. Une énergie inconnue se propagea tout autour du lanceur de sort, et le garou fronça les sourcils.
De toute évidence, l’homme n’était pas un simple prédicateur. Chacune des bourrasques de matière noire qu’il lançait avec acharnement semblait déchirer la réalité, créant des failles insondables.

« Qu’est-ce que … »

Il avait déjà vu cette magie.

Il s’agissait de la même énergie maléfique et noirâtre qui avait attaqué Isil et Nyx au banquet de Retrouvailles, près d’un mois auparavant.
Etait-ce donc là l’oeuvre de Nuru, dont Arda lui avait vaguement parlé lors de ses nombreux cours d’Histoire du monde ?

« Si votre espèce pitoyable ne peut pas s'entretuer sagement, je vais m'assurer de vous guider vers votre nouvelle grandeur ! Vos âmes serviront mon maître, d'une manière ou d'une autre. »

Un frisson le parcouru alors que le mage déchu sembla changer de tactique. Un immense boule d’énergie noire apparut entre ses mains, ouvrant une faille infiniment plus large que la précédente.

// Il veut tous nous aspirer dans le Néant ?! //

Oui, c’est définitivement l’oeuvre d’un enfant déchu et vengeur. Bon courage.

À sa droite, une voix forte lui parvint soudain, et il tourna la tête vers son alliée.

« Reste pas planté là ! Fais dégager tout le monde ! Je m’occupe de cet enfoiré ! » lui hurla Saien, aux prises avec leur ennemi.

« Quoi ? Seule ?! Tu n’y survivras pas ! » cria le loup en retour, alors que la foule et les Veilleurs courraient vers le sens opposé.

« Et tu crois pouvoir mieux faire avec ta magie élémentaire, face à une magie inconnue ?! Je risque bien moins que toi ! Prends pas le risque d’être enfermé de nouveau ! »

Le loup serra les dents alors que des flash de l’Abysse lui revinrent. Il ne repartirait pas dans un nouvel enfer.
Les yeux fixés sur le combat, Chris ne pu empêcher un rictus de colère de s’afficher sur ses traits. D’où venait leur ennemi ? Etait-il un rëvalïen corrompu par Nuru ? Venait-il directement du Néant ? Et comment en était-il sorti ? Ou comment Nuru avait-il réussi à l’atteindre depuis le Néant ?

Mais alors que les questions se bousculaient dans sa tête, il fut brusquement poussé, le forçant à faire quelques pas en arrière. Grognant légèrement de douleur et de frustration devant son incapacité à l’aider, Chris serra de nouveau les dents, jetant un dernier regard vers Saien, avant de lui offrir un dernier signe de la tête en remerciement.
Il n’avait pas eu l’occasion d’apprendre à la connaître. et face à un tel ennemi, elle avait de très faibles chances de survie …

Faisant volte-face, il ouvrit une brèche dans le mur protégeant le camps des malades, criant à la foule de s’y réfugier. La barrière faisait près d’un mètre de large ; elle résisterait à l’aspiration du Néant.

// Enfin, elle devrait. //

La foule apeurée se précipita derrière le mur, cherchant sa protection.

// Espérons qu’un tel rassemblement de puissants mages dans le camps les dissuade de s’attaquer aux plus démunis et aux mourants … //

Alors qu’il allait refermer la barrière derrière lui, adressant une prière à la Lune pour Saien, un grand flash l’arrêta.

Un portail démoniaque s’ouvrit sur le champs de bataille, et en sortit Thanatos, professeur de l’Ombre redouté de l’Académie. À ses côtés, Shitennô Bachiatari, visiblement encore très faible.
En peu de temps, les deux hommes parvinrent à maîtriser l’agent de Nuru, non sans un sacrifice visible de la part du directeur adjoint.

« Professeur ! »


Il ne fallut pas longtemps à Christyän, Shitennô, Thanatos et les autres rescapés de leur petite alliance pour débarrasser le champs de bataille des derniers blessés, à présent en sécurité. Shisui, ayant repris forme humaine, s’était précipité dans le camps afin d’aider les invalides, alors que Léandra ramenait l'ordre dans les rangs des Veilleurs.

Le loup ne cessait de lancer des regards inquiets en direction du Directeur adjoint. Chris, Francis et même Ayla l’avaient cru mort à l’issue de leur tragique confrontation avec le défunt Roi Vampire, plus de cinq ans auparavant. Pour chacun d’entre eux, le professeur de l’Académie avait été un mentor, dans un domaine ou dans un autre. Et pour chacun d’entre eux, le voir tomber sous la furie du dernier roi Morg avait été un déchirement. Ils l’avaient pleuré, ensembles, puis avaient fait leur deuil et avaient avancé.
Et pourtant, voilà qu’il réapparaissait lors de la cérémonie d'ouverture de l’Académie, un peu plus d’un mois auparavant. Mal en point, mais vivant. Alors quand il avait fait appel à lui, Christyän n’avait pas hésité la moindre seconde avant d’accepter d’apporter son aide.

Mais le voir à nouveau si faible, comme vidé de sa force vitale déjà si frêle … Le loup dû à plusieurs reprise lutter contre ses impulsions d’aller physiquement soutenir le Célestin.

Des citoyens bien plus calmes et détendus qu’à leur arrivée commençaient déjà à sortir du camps par les immenses hanses creusées dans la muraille de terre et de roches créée par Christyän. À l’intérieur, la colère et la peur semblaient s’être essoufflés, remplacés par la tristesse. S’ils en croyaient les visages des soigneurs, de nombreux malades n’avaient pas survécu …

Après avoir observé le rituel de protection des spirites offert par le célestin, Christyän s’engouffra dans le camps à la recherche du reste de l’équipe, les retrouvant dans la tente centrale.

Le loup-garou fronça les sourcils suite à l’exposé de la Wendigo. Nuru était une réelle menace, à présent. Une menace invisible, intangible, qui agissait dans l’ombre et cherchait à monter les peuples les uns contre les autres. Une menace d’autant plus dangereuse qu’elle ne semblait pas avoir d’attaches sur le monde qu’elle cherchait à détruire. Ni la Lune, ni ses agents, ni même ses propres créations …

Sirhc se mit soudain à grogner dans le fond de son esprit, et les yeux de Chris se tournèrent vers l’entrée de la tente. Quelqu’un approchait, quelqu’un de puissant, d’imposant et de définitivement dangereux.
Ces cinq dernières années avaient appris à Chris à reconnaître l’aura abyssale avant même qu’elle ne lui parvienne. Cinq ans à chasser les créatures abyssales échappées des Portails, à reconnaître leur trace magique et à les exécuter … mais également cinq ans à apprendre à connaître sa belle-soeur, à se forcer à différencier Nyx de l’Abysse, à sentir l’aura abyssale sur son meilleur ami, et parfois même sur les vêtements de ses neveux …
Leur relation était compliquée. Elle était mariée à son meilleur ami, elle était la mère de ses chers neveux … Mais aussi sa tortionnaire, et l’origine de tant de morts et de corruption par le biais des Portails.

Et ils avaient tous les deux appris à composer leur vie autour de ce bémol.

Alors lorsque Nyx Dowell entra dans la tente comme il l’avait deviné, en faisant sursauter certains, ce ne fut pas la peur qui le saisit. Cette terreur qu’il avait jadis ressentie avait depuis longtemps disparue, remplacée par un fort malaise et une pointe d’appréhension.

Une vague d’inconfort le traversa, et il recula de quelques pas, comme à son habitude.

« Le sang d'Ayla, » dit la jeune femme en s’avançant dans la tente.

Christyän inspira brusquement, son coeur ratant un battement.

// Quoi ?! //

La réaction des plus puissants le laissa supposer que la déesse était attendue, mais sa remarque le laissa fébrile et inquiet. Si seul le sang d’Ayla pouvait combattre l’élément abyssal du poison, que cela signifiait-il pour la reine vampire ?
Il savait d’expérience que si certains ingrédients inertes pouvaient facilement être démultipliés par le biais de la magie, ce n’était pas le cas des ingrédients naturellement magiques. Allaient-ils devoir saigner Ayla pour réaliser cet antidote ? Allait-elle encore devoir sacrifier sa santé pour le bien commun ? N’avait-elle pas déjà assez donné ?!

« Tâchez de ne pas bouger et par pitié Chris, essaie de te détendre, je sens plus ta peur que l'énergie vitale des malades, c'est difficile de se concentrer. »

Son attention se reporta sur Nyx, et il fronça les sourcils en tentant de reprendre son calme. Mais lorsque la déesse écarta les bras et se mit à léviter, sa gorge se serra de nouveau, son corps se préparant au choc énergétique.
Si l’énergie magique de Nyx était désormais différente de celle qu’il avait connu durant cent ans, il ne pouvait jamais s’empêcher une réaction pavlovienne à chacune des manifestations magiques de la jeune femme. Après tout, cinq ans, ce n’était rien pour un traumatisme. Il était déjà bien heureux de ne plus trembler de peur à la simple présence de Nyx.

Il reprit une respiration normale en voyant les malades se lever, confus de leur guérison miraculeuse. Et s’il en croyait les paroles de la déesse, ce miracle ne s’appliquait pas qu’au camps d’Edälis, mais à la totalité de Rëvalïa … Quelle quantité d’énergie venait-elle de dépenser pour accomplir un tel exploit ? De toute évidence, cela n’avait pas été sans prix, s’il à voir l’état affaibli de la jeune femme.
Face à une telle démonstration, Chris hésitait encore entre l’admiration et la crainte.

Alors qu’elle était conduite vers l’extérieur de la tente, l’incarnation de l’Abysse se tourna vers Christyän, qui haussa les sourcils de surprise. La lueur de tristesse qu’il pouvait voir dans le regard de Nyx était des plus inhabituelles.

« Je ne pourrais pas le refaire, le sang d'Ayla peut faire le même effet… bien que plus violent. Elle est à Nandoriath… mais elle souffre, elle a besoin de toi. »

Il inspira brusquement alors que l’angoisse s’installait.

« Elle se sent… responsable… et Isil a encouragé ce sentiment. »

Qu’avait-il pu lui arriver ?! Chris avait rendu visite à la reine moins de deux semaines auparavant, et son amie n’avait pas semblé plus en difficulté qu’à l’ordinaire !
Il savait qu’elle souffrait, il savait qu’elle sacrifiait chacune de ses secondes de lucidité pour mener son peuple et son royaume vers un équilibre qui lui tenait à coeur … Mais jusqu’à présent, ses “moments d’absence”, bien que douloureux, étaient contrôlés et accompagnés par la famille de la jeune femme. Chris ne comptait plus le nombre de fois où Victoria et lui avaient passé des heures à conforter la reine, s’assurant de retrouver la “Ayla” qu’ils avaient laissé s’effacer le temps d’une crise ...

Cette nouvelle souffrance était-elle récente ? Avait-elle passé un marché avec la Lune dont il ignorait les enjeux ? Et qu’avait donc la déesse lunaire à sans cesses s'immiscer ainsi dans la vie - et la santé ! - d’Ayla Morg ?!

« Elle pense qu'elle combattra mieux Nuru, mais elle est en train de sombrer, sauve-la. »

« Je t- »

Un rire froid l’interrompit, et la wendigo s'immisça dans leur échange avec une attitude aussi dédaigneuse que supérieure. Son agacement ne fit qu’augmenter.

« Quelle bonne idée ! Attend que celle que tu as juré de protéger soit dans le mal, histoire qu'elle t'idéalise encore plus une fois arrivé. Bonne stratégie, à moins que tu sois tellement obsédé par le fait de dire à tout le monde ce qu'il faut faire, que tu oublies ta soi disant amie. »

« Vous n’avez aucune idée de- » tenta-t-il de l’interrompre.

« Peut être qu'il te faut un second Raän pour enfin… »

« Fermez là Edwen ou je vous jure que je vous tue. »

La stupeur et la colère l’envahirent.
Comment connaissait-elle ce nom ? De quel droit le prononçait-elle ?! Son loup s’était mis à grogner inconsciemment, prêt à bondir sur cette menace, même en sachant qu’il n’aurait jamais aucune chance d’en sortir vivant.

Mais Nyx, qui elle savait ce que ces mots signifiaient pour Christyän, s’interposa.
Nyx, qui sous sa forme première avait conjuré des visions de Raän. Nyx, qui avait ravivé sa douleur et sa perte, qui lui avait arraché tout espoir de retrouver son frère en vie en le projetant au siècle suivant.
Nyx, mariée à son meilleur ami, qui avait appris l’amour, la joie, la peine et la douleur dans ce monde d’émotions qu’était le monde matériel. Nyx qui avait changé, contre ses plus profondes convictions, et qui comprenait à présent qui était Raän pour le loup-garou : il était son mari, son fils, sa fille, et tout être qui était devenu cher à la déesse.
Nyx, avec qui il avait fait la paix.

Là où Edwen provoquait une guerre.

La wendigo disparu sous le regard de l’Abysse, et la colère de Chris retomba, se muant en simple agacement.
Edwen n’avait aucune importance.

Seule Ayla importait, ici et maintenant.

Alors que la divinité se téléportait à l'extérieur avec le reste de la Meute, Christyän se tourna vers ses anciens camarades, et vers Shitennô.
Il lui fallait partir immédiatement. En empruntant le téléporteur vers Nandoriath, il pourrait arriver au château dans quelques heures.

// Ayla … Tiens bon. //